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« Ne me quitte pas » en période de confinement- Décembre 2020

« Ne me quitte pas » en période de confinement- Décembre 2020

Kheira Guernan est psychologue pour enfants places en institution ayant subi des violences Toulon Var Paca 83

Maintenir le lien… et le travail…avec qui ?

Voilà pour commencer des mots qui font tellement échos aux problématiques des enfants accueillis en Maison d’Enfants à Caractère Social.
Le « confinement » a une signification toute particulière en maison d’enfants, ne sont-ils pas déjà « confinés » ?

La crise que nous traversons face au COVID – 19 questionne nos relations sociales, nos codes, nos perceptions de la nécessité et le besoin de l’autre, des autres.
En tant que psychologue(s) clinicien(enne)s, nous sommes sensibles lors de nos observations à ces éléments mais ce contexte nous bouscule comme nos pensées et nos analyses.

J’exerce dans une maison d’enfants qui accueille des enfants placés, au quotidien, j’accompagne les enfants âgés de 3 à 12 ans.
Le placement est dans un sens « un confinement » un éloignement d’un milieu jugé défaillant à un instant T et pour lequel l’enfant se doit d’être protégé, éloigné. Ce parallèle me vient tout naturellement à l’esprit de par mes observations des petits qui nous sont confiés et dont nous devons prendre soin. L’un d’entre eux m’a répondu : « J’ai l’habitude d’être éloigné .. Euh d’être confié.. Euh confiné, je voulais dire ! ».
Le confinement vient tout simplement faire émerger toutes les problématiques les plus enfouies au grand jour en sollicitant ce qu’il y a de meilleur tout comme le plus archaïque et défensif chez chacun d’entre nous.
Rappelons-le, nous nous confinons car il y a un danger, une menace et puis ne sommes-nous pas en guerre ? Que font les personnes, les professionnels en temps de guerre ?

Nous y voilà…
Pour des raisons de santé, je me suis absentée quelques jours, non sans peine mais la forme revenue, j’étais de retour dans cette belle institution qui accueille tous ces bambins.
Le maintien du lien et du travail (malgré tout !) s’est renforcé pour moi lors de l’annonce du confinement par notre Président de la République E. MACRON. Il est en temps normal difficile lors d’un arrêt de travail de « couper » dans une « maison d’enfants », est-ce le fait que ce soit une « maison ? » ou hypothétiquement ce pourquoi nous y travaillons ? Mais je suis forcée de constater que l’ensemble des professionnels, et je m’y inclus, ont parfois cette difficulté à « s’arrêter ». Le fonctionnement de l’internat est prenant. Les enfants sont dans une maison, ils sont présents en permanence et l’accès à votre bureau est constamment possible. Cette proximité dans le lien crée chez les professionnels cette im-possibilité de se « mettre en pause » le temps d’un arrêt de travail. Beaucoup parlent de conscience professionnelle, en effet, je pense que cette conscience professionnelle est indéniablement présente consciemment, inconsciemment nous pouvons légitimement interroger la réelle motivation, celle qu’on ne peut pas dire ou reconnaître. Car il faut être un peu « abimé » pour travailler en « maison d’enfants à caractère social », être prêt à affronter ou à ré-affronter l’insoutenable.

Revenons à cet arrêt, ce confinement.
Comment puis-je alors, dans ce contexte si particulier, penser autrement ma pratique et accompagner au mieux, voire compléter, le travail de mes collègues éducateurs, chefs de service, infirmier, maitresses de maison, cuisiniers en étant physiquement absente ? Quelle frustration !
Mon absence physique constituait ma première difficulté mais le maintien du lien avec les équipes mon premier objectif. En échangeant par téléphone, avec les collègues, je pouvais réfléchir, contribuer de ma place « d’absente » à aborder et comprendre les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer, eux là -bas, présents !
Dès mon retour dans l’institution, quel ne fut pas le plaisir d’entendre tous ces rires, ces voix d’enfants et de voir tous ces sourires. Un bonheur pour les yeux !
Je retrouvais d’abord les tout-petits (3 – 6 ans) en atelier de groupe afin qu’ils m’expliquent ce qu’il se passe : « Ben on croyait que t’étais morte ! On va t’expliquer, y a un virus, il s’appelle Corona, il est très méchant, nous on n’a pas peur, on a des épées et on t’a préparé une épée pour le tuer mais il faut rester confiné pour pas être malade ou mourir, tu vas mourir toi ? Tu vas rester pour toujours, tu ne meurs pas ? ….on fait plein de choses et on attend le 11 mai. »

À ma grande surprise, les plus jeunes m’ont épatée par leur compréhension du contexte mais toutes ces angoisses mortifères manifestes et latentes dans leurs discours ne peuvent pas nous échapper, elles-mêmes en miroir avec leurs problématiques abandonniques, pour la majorité.
Les professionnels eux-mêmes m’ont signifié leur constat de voir « aller bien tous les enfants ».
Nous pourrions en effet nous réjouir de ce « aller bien » mais de plus près, j’ai observé comme un mécanisme chez les enfants qui se réenclenchait massivement, comme si après avoir pris soin de leurs parents en tant que « enfant-parent » ils prenaient soin « des professionnels » avec comme petite voix en arrière-plan « ne me quitte pas.. »
Ce confinement vient rejouer l’absence /présence, cet attachement parfois, souvent, insécure que ces enfants manifestent dans les relations qu’ils peuvent ou ne peuvent pas investir.
L’intérêt dans cette période de confinement est de maintenir un lien parent-enfant, intérêt durant le placement, bien entendu. Mais ce lien ne peut être travaillé, abordé comme « d’habitude » et en même temps, les enfants l’attendent tellement. La question du « lien » est un sujet que nous pourrions développer en plusieurs chapitres.
Plusieurs professionnels me faisaient remarquer : « Tiens, c’est étonnant, les enfants ne réclament pas de voir leur parent ». 
Nous leur expliquons en permanence le contexte et ses risques, ils ne peuvent pas s’autoriser à réclamer leur parent, en effet, les enfants comprennent les dangers et l’ultime risque de …mourir, de partir. Ils aiment beaucoup trop leur parent pour leur faire courir un tel risque. Ils se contentent donc de les entendre au téléphone et de les voir sur une tablette. Les enfants ont très/ trop vite intériorisé le danger et cela nous arrange bien, nous les professionnels, les adultes.
Cependant la prudence reste nécessaire sur le suivi des jours à venir lorsque que tout sera peut-être comme « d’habitude ». Un peu comme dans un deuil, les jours qui suivent et où la vie reprend son cours mais plus comme avant.
Les enfants ont tenté, essayé de trouver un sens à ce qui n’avait aucun sens la première semaine. Le sens c’est ce que l’on travaille en permanence avec eux mais faut-il le trouver nous-même !

J’exerce l’un des plus beaux métiers au monde, celui d’être aux côtés des enfants, de voyager dans leur univers et de les accompagner lorsqu’ils m’y autorisent. Travailler avec eux c’est entendre ce qui ne s’entend pas, penser à ce que d’autres n’osent pas penser mais c’est aussi en « protection » de l’enfance « panser » toutes ces pensées. Les demandes actuelles sont déposées dans l’espace thérapeutique mais ne me sont pas toutes adressées : « Oh j’aime trop venir dans ton bureau, l’odeur me rappelle maman, c’est comme-ci ici j’étais avec elle ».
Nous pouvons accueillir ces demandes en rassurant les enfants, en les accompagnant en écoutant et en entendant ce qui ne se dit pas, qui ne peut pas se dire car aimer c’est protéger et ces enfants l’ont très bien compris.
Aujourd’hui, j’essaie de recevoir en rendez-vous tous les enfants qui souhaitent, mais ils sont très nombreux. Ils peuvent venir me dire « bonjour au bureau » et je leur réponds « je suis là, ne t’inquiète pas » pour la majorité cela suffit, certains demandent un objet du bureau pour le garder… le temps du confinement… le temps d’avoir maman au téléphone.. le temps de ci.. le temps de ça… puis ils me le ramènent lors de notre rendez-vous.
Voilà comment je réponds aujourd’hui dans mon travail à ces enfants qui nous sont confiés et dont nous prenons soin, dont j’essaie au mieux de prendre soin.

Cependant, ce confinement semble avoir révélé deux mondes : le monde hors institution qui s’est comme arrêté, figé, mis en pause, et le monde dans l’institution qui continue à fonctionner comme « d’habitude ».

Ce confinement nous amène à réfléchir sur la notion du « prendre soin », peut-être à la repenser même.
Les enfants prennent soin de leurs parents et prennent soin de leurs figures d’attachement institutionnelles en murmurant inconsciemment « ne me quitte pas ».

Kheira GUERNAN
Psychologue Clinicienne
26 Avril 2020

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