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Kheira Guernan au congrès de Hyères dans le Var

Kheira Guernan au congrès de Hyères dans le Var

kheira guernan psychologue congres international hyeres var 83INTERVENTION DE KHEIRA GUERNAN AU CONGRÈS INTERNATIONAL FRANCOPHONE DE HYERES
LIENS DE FILIATION ET D’AFFILIATIONS

Identités parcours et narrativité dans le couple, les familles, les institutions et le lien social

Les 9 et 10 mars 2023

Atelier PARCOURS VICTIMAIRE DE L’ENFANT : PARCOURS DU SOIN, PARCOURS JUDICIAIRE
Président : Jean-Claude Maes

Parcours du soin,
Enfant victime, enfant placé, victime ?

Du côté de l’enfant …

La justice et le soin disposent de deux temporalités et réalités différentes. Oh combien ! importantes, chacune de leur côté pour les enfants « victime de … ». L’enfant, lorsqu’il est « victime » qu’il vive chez ses parents ou qu’il soit « placé » doit accéder aux mêmes droits que chaque être humain. Or le parcours de l’enfant est semé d’embuches protéiformes.

Les enfants que j’ai accompagnés et que j’accompagne veillent à ne pas « placer » leurs parents en difficulté. La peur de « faire du mal ou de blesser » est omniprésente, rendant ainsi leur discours parfois confus, parfois ambivalent, parfois peu entendu, la crainte étant plus forte que la / leur vérité.

Et de quelle vérité parle-t-on ? De quelle place regardons-nous l’enfant ? Car il s’agit toujours d’une question de « place ». Celle dans sa famille, dans sa filiation, auprès de ses parents, de ses figures d’attachement, des institutions et de la justice.

En tant que clinicienne, la question est de savoir comment allons-nous rencontrer et accompagner cet enfant ? Qui est cet enfant ? Avec qui allons-nous travailler ?

L’accès ou non au statut de « victime », la « place » que cela confère, « l’identité » que cela génère ou renforce, voilà autant de problématiques et de questions que l’accompagnement fait émerger.

Le parcours victimaire ouvre la réflexion de l’articulation du soin, du droit et de la justice nécessitant que les différents acteurs prennent en compte les familles, puisqu’un enfant n’existe pas sans sa famille, car d’une façon ou d’une autre, il y retourne.

Nous aborderons ces questions autour de la situation de 3 frères placés.
Pour parler de ces enfants, il me faut d’abord vous raconter, comment je les ai rencontrés.
Pendant quelques années, j’ai exercé dans le secteur de la protection de l’enfance dans différentes institutions accueillant des enfants placés, ce qui m’a permis en tant que clinicienne de comprendre l’articulation entre ces différentes structures et les instances partenaires dont celle de la justice.

C’est l’histoire de 3 frères, que nous appellerons Jason, Aurélien et Michael, âgés de 4,5 et 7ans et demi lors de leur placement en Institution. J’accueillais à mon tour ces 3 petits bonhommes dans mon bureau. Avant même que, je me présente, l’un d’entre eux, me dit savoir qui j’étais : « la spychologue des enfants, celle qui pouvait garder tous les secrets et entendre tout ce que personne ne pouvait pas entendre ». Belle définition de notre beau métier, je remercie chaque fois, chaque enfant qui me confie ce qu’il a de plus cher : son intime.

J’avais pour habitude, lorsque j’accueillais des fratries, de les recevoir ensemble autour d’un goûter. La nourriture rassemble et induit tout de suite une ambiance plus conviviale. C’est d’ailleurs souvent grâce à cette ambiance que le lien à l’autre se tricote petit à petit. Ce premier entretien avec les enfants est primordial, c’est celui qui permet de nous regarder, de nous observer et souvent de nous rencontrer.
Ces enfants ont été placés initialement pour des carences éducatives, de la négligence et des suspicions de violences physiques.

Je raconterai l’histoire de ces enfants autour de 3 moments dans nos rencontres qui ont duré environ deux ans :

Lors du premier entretien, la relation avec les 2 plus jeunes Jason et Aurélien s’est tout de suite établie, c’était un peu plus difficile avec Michael. Il était plus accessible seul. En jouant autour du goûter lors de ce premier rendez-vous, c’est tout spontanément et naturellement que Jason, le plus jeune, mimait en utilisant des poupons des scènes incestueuses, disant à voix haute : « je te lèche la foufoune, dit l’enfant au parent » sous les yeux de ses 2 frères. Le plus grand baissant la tête et le cadet riant et observant mes réactions.
Ce moment est important car il est à la jonction du soin et de la justice, en effet, il est important de veiller à accompagner la parole de l’enfant en veillant à la respecter afin de ne pas entraver aussi sa potentielle audition par la brigade des mineurs.

Le second moment a été l’entretien après la rencontre avec la Juge des Enfants.
Les 3 frères arrivent dans mon bureau et me demandent de fermer la porte à clé. Nous fermons la porte et nous improvisons un goûter sous forme de pique-nique au sol sur un tapis entouré de jouets, dans le tipi. Le cadet me demande si je dispose du numéro de téléphone de la Juge des Enfants, il souhaiterait lui téléphoner : « T’as le numéro de téléphone de la zuze, ze suis en colère, parce qu’elle ne veut pas qu’on voit maman ! ».
Je lui réponds que je n’ai pas le numéro de téléphone, que nous pouvons lui écrire et je lui explique pourquoi la juge a pris cette décision, en lui indiquant à lui et à ses frères qu’au regard de nos entretiens j’ai également écrit à la juge qu’il était important de les protégerLe cadet se redresse et me regarde en disant : « ze suis embêté parce que ze suis en colère contre toi et ze t’aime ». Le plus grand baisse la tête, et le plus petit répète en jouant avec des figurines : « La violence c’est interdit, c’est qu’Kheira qui l’a dit, maman elle n’a pas le droit de faire ça ! ».
Ce moment est important car il est la validation du soin par l’autorité judiciaire, le juge.

Le 3 ème moment a été, le dernier entretien que j’ai eu avec, le plus grand de la fratrie, Michael. Michael est l’enfant qui était présenté comme étant le plus turbulent, le plus difficile à canaliser mais surtout celui qui manifestait le plus de troubles du comportement et de conduites potentiellement problématiques. En effet, il arrive que les enfants répètent au travers de leur comportement et de leur corps les traumas qu’ils ont subis / qu’ils subissent. Les enfants « placés » ont chacun leurs problématiques. La problématique qui est la « plus dérangeante » est celle que personne ne veut voir, celle qui est écœurante et souvent innommable… : l’incesteLe travail avec Michael a été un accompagnement soutenu, qu’il est difficile de réaliser dans un foyer de la protection de l’enfance. Mais difficile ne signifiant pas impossible, j’y croyais et j’y crois encore !

La problématique d’attachement et d’inceste sont des problématiques qui nécessitent un accompagnement psychothérapeutique à la fois individuel, collectif (fratrie) et familial.
Dans quoi a-t ’on inscrit l’enfant, les parents, la fratrie, certains d’entre eux.
Il n’était même plus possible pour cet enfant d’accepter une bise sur le front, sur la joue, une caresse au visage, une étreinte ou même d’accueillir un mot doux. Nos entretiens soutenus et nos rencontres individuelles, nous ont petit à petit permis à l’un et à l’autre de tricoter notre relation. Celle du soin !
Le soin par le regard que nous allons porter sur lui, par notre façon de l’élever afin de l’aider à exister pour lui et en tant que sujet de droit et de désir, en tant que sujet adulte en devenir et non en tant qu’objet sexuel.
Lors de notre dernière rencontre, Mickael a souhaité m’offrir un bracelet que je puisse garder autour de mon poignet. Je lui proposais à la place de garder son argent de poche et de s’acheter la montre dont il rêvait. Et en échange, j’achetai une toile avec lui, sur laquelle il pourrait peindre et je pourrai alors la garder avec moi lors de mon départ ! Il choisit la peinture, la taille de la toile, m’accompagna pour acheter la toile et prit le temps de la peindre… Et pour clôturer le dernier entretien et les accompagnements thérapeutiques en général, je demande régulièrement à chaque enfant, ce qu’ils ont appris de nos rencontres. Pour Michael : « Tu m’as appris à avoir ma propre maison et à être libre ! ».

Le soin passe par le lien et la relation que nous allons tricoter avec l’enfant. Ce lien permet à l’autre de se raconter et d’exister en tant que sujet comme il souhaiterait être et non comme nous souhaiterions qu’il soit ou devienne..

A tous les enfants placés .

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